04/07/2009

"Qu'est-ce qu'elle a ma gueule?" Note sur deux comédies actuelles



Deux films récents nous donnent encore une raison de croire en l'avenir de la comédie dans notre pays, ce qui ne constitue pas un mince exploit. Le meilleur des deux, "Les Beaux gosses", première réalisation de Riad Sattouf, auteur jusqu'ici de savoureuses BD, montre brillamment qu'un sujet traité jusqu'à la nausée, à savoir la chronique d'un adolescent à l'heure de ses premières pulsions amoureuses et sexuelles, peut, s'il est envisagé avec originalité, révéler des saveurs inédites. En l'occurrence, "Les Beaux gosses" évite avec soin les deux écueils qui minent en général ce type de sujet : celui du réalisme social à prétention pédagogique (type "Entre les murs", disons) et celui de l'analyse psychologique sur la relation parent-adolescent (je pense au désolant "15 ans et demi", à défaut d'exemple plus noble). Ici, l'inscription géographique (le spectateur dispose de peu d'indices lui permettant de repérer que l'action se situe à Rennes), sociale (le personnage principal fait indéniablement partie de la classe moyenne tandis que sa petite amie est issue d'un milieu plus aisé, mais le film n'aborde jamais cette dimension) ou même historique (la quasi-absence de référence à l'actualité, et surtout l'absence totale de téléphones portables chez les adolescents, population qui en est pourtant la plus friande, constituent autant d'éléments destinés à brouiller l'ancrage temporel) ont été clairement évacuées. Dégagé de toute considération étrangère à son univers, Sattouf se propose d'étudier l'adolescence en soi dans un monde quasiment désincarné, presque abstrait. Pour autant, toute distance scientifique ou ironique est écartée, car le processus d'identification opère : physique ingrat, intelligence plutôt moyenne, humour douteux mais décapant, les anti-héros de son film emportent d'autant plus vite la sympathie du spectateur (garçon) qu'il ne tarde pas à se reconnaître dans ces losers plus obsédés par les filles que par leurs notes à l'école.
Le film doit une grande partie de sa réussite à ses dialogues qui reflètent parfaitement le langage des ados dont l'humour et la cruauté mêlés sont les composantes essentielles. Cette mise en valeur des dialogues est d'autant plus percutante que la parole a pour fonction de traduire, dans un langage rudimentaire, certes, mais ô combien réjouissant, la frustration que ressentent nos deux compères.
Enfin, ce qui distingue "Les Beaux gosses" de l'écoeurant "American Pie", c'est sans conteste la pudeur et la tendresse infinies avec lesquelles le metteur en scène filme ces ados qui savent qu'ils ne resteront pas ados toute leur vie. Après avoir tant ri, la fin du film nous inspire d'ailleurs une pointe de nostalgie tout à fait inattendue.

De la tendresse, Eric Toledano et Olivier Nakache, les deux réalisateurs de "Tellement proches", en éprouvent indéniablement pour leurs personnages, cela ce sent malgré un scénario (mais y'en a-t-il vraiment un) plutôt confus qui rend cette histoire ultra rebattue de "famille-je-vous-aime-famille-je-vous-hais" assez anecdotique. Les dix premières minutes, plutôt enlevées, sont prometteuses et évoquent les grandes heures de la comédie italienne. Mais la suite n'est pas de ce niveau.
C'est dommage, d'autant que ce film, par sa vivacité (brouillonne, certes, mais tout de même), par la qualité de son interprétation, par les thèmes de société qu'il aborde (le racisme, la famille, la solidarité), par les valeurs généreuses et positives (tout cela sans démagogie) qu'il véhicule, et par son absence totale de vulgarité, tranche singulièrement dans le paysage terne et sans âme de la comédie hexagonale actuelle.
Vincent Elbaz est touchant en enfant qui a grandi trop vite et Omar Sy confirme, après "Nos jours heureux", du même tandem de réalisateurs, ses talents de comique en solo. Les autres acteurs s'en tirent également bien, à l'exception du pénible François-Xavier Demaison dont l'omniprésence dans le paysage cinématographique français ne laisse pas d'être un signe inquiétant.
Pour finir, et comme pour justifier le traitement parallèle de ces deux films, on notera que l'un des principaux ressorts comiques qu'ils ont en commun tient au rôle essentiel que joue l'apparence physique, en particulier le visage. Dans "Les Beaux gosses", le visage ingrat du personnage principal est régulièrement objet de dérision, parfois cruelle, de la part de ses camarades. Remarques désobligeantes qu'il infligera également à l'une de ses congénères venue lui demander, en tremblant, s'il voudrait bien sortir avec elle, et ce à quoi il lui lâchera un "Non mais, t'as vu ta gueule ?" dont la franche brutalité comique désamorce la violence de la charge. Les meilleures scènes de "Tellement proches" mettent en valeur une vexation semblable, déplacée cette fois à la couleur de la peau. Le personnage que campe Omar Sy, médecin en dernière année d'internat, est régulièrement pris par ses patients pour un simple brancardier, du fait de sa couleur. La répétition de cette méprise au cours du film détourne la simple charge anti-raciste pour parvenir à un comique de situation pleinement assumé. Belle preuve, s'il en est, d'humour décomplexé et dénué de vulgarité sur un sujet (l'apparence extérieure) plutôt... casse-gueule.
Bref, le succès public mérité que rencontrent ces deux comédies intelligentes nous réconcilie avec la Fête du cinéma.

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