23/03/2011

True Grit - à l'ouest rien de nouveau


On aura beau dire que cette première incursion des frères Coen au sein d'un genre, le western, qu'ils auront effleuré plus d'une fois au cours de leur carrière (au point d'en emprunter les codes et d'en investir les territoires géographiques, dans "Blood Simple" ou "No Country For Old Men") n'est pas tant un remake du film éponyme d'Henry Hathaway, réalisé en 1969, avec John Wayne

(mais aussi Dennis Hopper, Robert Duvall et Glen Campbell qui chante le très beau morceau titre), mais une nouvelle adaptation du roman de Charles Portis, il serait pourtant abusif de croire que ce "True Grit" renouvelle le genre. Au contraire, la déférence des frères Coen à l'égard du western est telle qu'elle semble leur interdire de prendre les mêmes libertés qu'avec le polar. Ni crépusculaire et désabusé comme chez Eastwood, ni réflexif et distancié comme le récent "Jesse James" d'Andrew Dominik, ce "True Grit" paraît ni plus ni moins qu'un hommage admiratif à l'égard du genre, au premier degré, à l'instar du très réussi "3:10 To Yuma" (cette fois il s'agit bel et bien d'un remake) de James Mangold. Cette approche respectueuse, dénuée de l'ironie qui imprégnait "Miller's Crossing" ou "Fargo", contraste également avec la pratique du pastiche à laquelle les frères coen s'était exercée sur "The Man who wasn't There", notamment. Cet hommage répond au cahier des charges propre à tout western qui se respecte avec chevauchées, coups de feu, rites initiatiques et humour cowboy en sus. Tout est parfait, mais manque cruellement le regard et les thématiques propres aux maîtres du genre (la sentimentalité comme chez Ford, l'amitié comme chez Hawks, la violence sèche et les tourments shakespeariens comme chez Mann, la violence désabusée comme chez Peckinpah). En fait, à l'exception de quelques scènes originales (l'apparition d'un homme-ours, la course finale de Cogburn afin de sauver Mattie Ross, qui évoque l'esthétique onirique, proche de l'expressionnisme, de "La Nuit du chasseur") et de l'épilogue volontiers mélancolique, on penserait assez volontiers, toutes proportions gardées, aux westerns de Budd Boetticher qui réduisait le genre à sa plus simple expression : peu de psychologie, peu de romantisme, le film s'ouvre sur un problème et s'achève sur sa résolution, allant ainsi à l'essentiel.

Si le film ne représente pas une date incontournable pour le western, en revanche il ajoute une nouvelle pierre à l'édifice ébauché par les frères Coen film après film : le portrait de l'Amérique profonde, cette "Americana" où se joue une nouvelle comédie humaine avec ses héros ridicules mais plein de noblesse. Après les "misfits" du Nouveau-Mexique de "No Country For Old Men", la communauté juive du Midwest de "A Serious Man" et les cowboys de l'Arkansas de "True Grit", sur quels perdants magnifiques et sur quelle partie du territoire américain se portera leur regard acéré?

14/03/2011

Une rétrospective pour les mordus de la Hammer



Réjouissons-nous de l'audacieuse (et étonnante) initiative du Musée d'Orsay qui propose ce mois-ci une sélection de 15 films emblématiques de la Hammer, la fameuse firme britannique spécialisée dans l'épouvante. Le studio, qui, à partir des années 50, remit au goût du jour le bestiaire de la littérature fantastique (Frankenstein, Dracula, la Momie, le Loup-Garou...) déjà popularisé par la compagnie américaine Universal dans les années 30, entraîna le cinéma fantastique vers l'horreur. Tournés à peu de frais, et dans des délais de tournage très courts, ces films, dont les titres laissent aujourd'hui songeurs ("Le Cauchemar de Dracula", "Frankenstein s'est échappé", "Docteur Jekyll et Sister Hyde"...), remportèrent lors de leur sortie un succès très vif et laissèrent une impression particulièrement forte sur de futurs metteurs en scène qui firent dériver l'horreur vers le grand-guignol durant les années 70 (Brian De Palma, Joe Dante, John Carpenter...) et qui n'ont fait jamais mystère de l'influence du studio sur leur oeuvre.
Le gothique délicieusement kitsch et les décors très artisanaux font sourire aujourd'hui mais force est de reconnaître que la Hammer a non seulement imprimé son style, mais a également inauguré une esthétique (les couleurs flamboyantes dont le rouge est forcément la couleur reine), mis au premier plan des acteurs marquants (Christopher Lee et Peter Cushing en tête) et a permis à un cinéaste de seconde zone, Terence Fisher, de devenir un petit maître du genre. Dès le premier film de la longue série des films d'horreur de la Hammer, "Frankenstein s'est échappé" (traduction française particulièrement malhabile et fausse de "The Curse Of Frankenstein") en 1957, tous les ingrédients sont là : les couleurs, le morbide, des filles peu vêtues, un monstre, un fou encore plus monstrueux, une réflexion pas si naïve qu'il n'y paraît sur les limites de la science. Le film se démarque également de son modèle (le "Frankenstein" de James Whale en 1931) par son traitement du sujet : le personnage principal n'est pas tant la créature (jouée, curieusement, par Christopher Lee, qui revêtira si élégamment la cape de Dracula dans la série produite par la Hammer) que le docteur Frankenstein dont la folie démiurgique le conduit à se comporter de manière plus inhumaine encore que le monstre qu'il a créé. La fluidité de la mise en scène, des dialogues réduits à leur simple expression, une composition hallucinée de Peter Cushing font du film une indéniable réussite. Sa suite, "La Revanche de Frankenstein" est même jugée supérieure par les exégètes (lire la notice de Jacques Lourcelles qui lui est consacrée dans son "Dictionnaire du cinéma").
Grâce sera donc rendue au Musée d'Orsay pour cette programmation iconoclaste, même si le spectateur exigeant et raisonneur exprimera deux interrogations à l'endroit de cette initiative : ces films, sortis à l'époque dans des salles spécialisées, et dont même les plus grands admirateurs n'admettront jamais le caractère institutionnel, pour louer, bien plutôt, leur aspect déviant, ont-ils véritablement leur place dans un Musée? D'autre part, l'Auditorium du Musée d'Orsay, pas vraiment équipé pour des projections de films, est-il le lieu le plus indiqué pour présenter ces simili-chefs-d'oeuvre? Malgré ces réserves, cette rétrospective a le mérite d'exister et les cinéphiles de tout bord apprécieront.