25/11/2010

Cannes en automne


Pour les non-privilégiés, dont je fais partie, qui n'ont pu se rendre sur la Croisette cette année, il a fallu attendre plusieurs mois avant de découvrir des films déjà abondamment commentés dans les médias et de juger la pertinence du palmarès.
Une fois n'est pas coutume, l'excellent accueil critique réservé à "Des hommes et des dieux", le cinquième film de Xavier Beauvois, depuis sa présentation à Cannes (où le film a obtenu le Grand prix du jury), jusqu'à sa sortie (Pierre Murat de Télérama constituant une exception notable), s'est doublé d'un succès public inattendu, certains spectateurs visionnant le film deux fois - phénomène réservé d'habitude à des films comme "Avatar". Un tel engouement n'a pas manqué d'alimenter les rubriques de nos chroniqueurs du temps présent qui ont attribué tour à tour ce succès à un besoin de la part des Français de revenir à des valeurs essentielles (la foi, l'amour, le devoir moral) en ces temps de crise, de reprendre espoir grâce à un message de paix et de tolérance et de croire à un dialogue possible entre les religions. L'auréole est tout de même un peu lourde à porter pour Xavier Beauvois qui ne pensait sûrement pas que son film s'inscrirait à un tel point dans l'air du temps. Rien de morbide non plus, bien que l'on sache d'emblée le sort réservé aux moines, mais le souci de coller au plus près à la foi qui anime les personnages ainsi qu'aux difficultés et aux doutes auxquels ils sont confrontés. Ajouter à cela une belle mise en valeur des paysages marocains, offrant au film un cadre inspiré du western - le thème des résistants retranchés rappelant vaguement "Rio Bravo". Dommage en revanche que Beauvois insiste un peu trop sur cette dimension-là : le dernier repas des moins, filmé en gros plans, rappelle Sergio Leone - influence hors de propos ici. D'autant que l'oeuvre musicale utilisée à cette occasion - "Le Lac des cygnes" - empêche la séquence d'atteindre son but : transcender, par la seule grâce de la musique, la joie et la souffrance afin de figurer l'apothéose des moines. Une fausse bonne idée donc, d'autant plus dommageable que la plus grande sobriété guidait l'ensemble du film jusque-là. La prestation de Lambert Wilson est particulièrement habitée : le film lui doit beaucoup.

On retrouve d'ailleurs frère Christian, pardon Lambert Wilson, dans "La Princesse de Montpensier" de Bertrand Tavernier, candidat malheureux au festival de Cannes. L'acteur joue à peu près le même rôle, mais à une autre époque, la seconde moitié du XVIème siècle. Il incarne un intellectuel, une sorte d'esprit éclairé à la Montaigne ou Erasme, dans une époque violente et troublée. Tavernier a cherché l'originalité en choisissant d'adapter une nouvelle méconnue de Madame de Lafayette, mais le propos est relativement similaire à celui de "La Princesse de Clèves", à savoir les atermoiements d'une demoiselle partagée entre son mari et son amant, entre le devoir et la passion. La partie se complique avec le surgissement de deux autres prétendants : notre Lambert Wilson, incarnation de l'expérience et de la sagesse et le duc d'Anjou (futur Henri III) dont les intentions à l'égard de la belle sont assez explicites. L'effort de reconstitution est impressionnant : on est loin des images d'épinal véhiculées par les téléfilms. Comme souvent dans ses films historiques (depuis "Que la fête commence" et "Le juge et l'assassin"), Tavernier ne cherche pas tant à "faire vraisemblable" qu'à "faire vrai" en mettant le spectateur en immersion totale et en empathie avec les personnages. Ca marche quand il s'agit des décors (superbes) et des batailles (impressionnantes de vérité). On est en revanche un peu moins convaincu de certains choix de distribution, notamment Grégoire Leprince-Ringuet (oui, l'amant de Louis Garrel dans "Les Chansons d'amour"), pas vraiment à son aise dans des habits un peu trop grands pour lui, et Mélanie Thierry qui rend assez maladroitement palpable les fluctuations de ses sentiments. En revanche, Gaspard Ulliel, Michel Vuillermoz et surtout l'inconnu Raphaël Personnaz en duc d'Anjou sont truculents à souhait. De la belle ouvrage donc, où amour, haine, action, violence, mort sont étroitement mêlés. Finalement, ce film plein de panache répond assez parfaitement à la définition du cinéma telle que l'envisage Samuel Fuller dans "Pierrot le fou".