16/07/2009

Liverpool : voyage au bout de l'ennui

Quatrième réalisation de Lisandro Alonso, cinéaste présenté ici et là au gré des festivals comme le chef de file d'une soi-disant nouvelle vague argentine, "Liverpool" concentre à lui seul tous les clichés du film d'auteur : longs plans fixes, dialogues triviaux réduits à leur strict minimum, acteurs sans charisme (malgré un comédien aux faux airs de Vincent Gallo), rythme inexistant, humour totalement proscrit... tout cela au service d'une vision désespérément pessimiste et complaisante de l'humanité sur fond d'une nature désolée (à Ushuaïa, en Terre de feu). Parti pris radical s'il en est, à défaut de faire preuve d'originalité, qui supposerait pour le moins un réalisateur doté d'un solide sens de la mise en scène. Or, à quelques trouvailles près, "Liverpool" ne s'avère qu'un petit film d'auteur prétentieux et nombriliste de plus, sans véritable personnalité.
Le sujet s'avérait pourtant fascinant : un homme travaillant à bord d'un cargo de marchandise profite d'une escale à Ushuaïa pour rendre visite à sa famille dont il a été éloigné depuis longtemps en raison d'une mystérieuse circonstance. Malheureusement, le film évite volontairement tout enjeu dramatique ou vision cinématographique qui aurait pu conférer une véritable densité à ce synopsis. Décidément, n'est pas Antonioni qui veut.
Ce qui frappe surtout dans cette entreprise c'est l'absence de générosité - à l'égard de ses personnages comme des spectateurs - dont fait preuve le réalisateur, comme si l'incommunicabilité qui imprègne son film devait forcément transparaître au sein d'une forme complètement autiste. Le scénario est volontairement sibyllin, la mise en scène claustrophobe (un comble lorsqu'on pense aux grands espaces composant les décors) et le maigre suspense (l'attente d'une explication éclairant le titre du film) nécessairement obscur. Pire, la signification du film (c'est-à-dire aussi bien son objet, son essence, bref sa raison d'être) est totalement floue : célébration du triomphe de la nature et de la petitesse de l'homme ? métaphore de la déchéance de nos sociétés ? On ne saura jamais vraiment le message qui nous est adressé, faute d'une formulation plus explicite.
Il va sans dire que cette débauche de prétention, présentée sous le masque de l'ésotérisme, ne contribuera aucunement au rayonnement artistique de Lisandro Alonso dans le paysage cinématographique mondial. Et ce n'est pas sa sortie en France, prévue le 5 août prochain (alors qu'aucun des films précédents d'Alonso n'est sorti dans son propre pays) qui devrait y changer quoique ce soit, malgré la très probable mais vaine défense orchestrée par une poignée de cinéphiles trop zélés.

15/07/2009

Le Versailles de trop

A peine nous félicitions-nous de la bonne santé retrouvée de la comédie dans notre pays qu'un film est venu brusquement, avec sa vacuité abyssale, doucher notre enthousiasme. Notre déception est d'autant plus grande que Bruno Podalydès, l'auteur de ces laborieux "Bancs publics", avait su faire preuve jusqu'ici d'un talent véritablement original dans le domaine pourtant très balisé de la comédie. Certes, ses héros lunaires sortent tout droit de chez Tati tandis que les catastrophes brillamment orchestrées qu'ils provoquent malgré eux doivent beaucoup à Blake Edwards, mais Podalydès a toujours su marquer ses films d'une singularité qui lui est propre, faite de poésie naïve, de nostalgie, de calembours pas toujours fins et d'humour décalé dans l'air du temps. C'est la réunion de ces ingrédients, aussi divers et improbables soient-ils, qui font de "Dieu Seul me voit", "Liberté-Oléron" et "Le Mystère de la chambre jaune" d'indéniables réussites.
On retrouve bien entendu tous ces éléments dans "Bancs Publics", mais ils ne composent plus la même recette savante, la même alchimie qu'autrefois. Il faut dire que sa structure éclatée - il s'agit d'un film à sketchs - n'invite pas vraiment à la concentration mais plutôt à l'éparpillement.
L'ambition de Podalydès, avec ce film, ne doit pas être pour autant sous-estimée, bien au contraire. En inscrivant pour la troisième fois l'action de son récit à Versailles, dix-sept ans après "Versailles Rive-Gauche" et onze ans après "Dieu seul me voit" - dont le sous-titre était "Versailles Chantiers" - en conviant un nombre invraisemblable d'acteurs très connus, ou encore, en structurant son film en trois grandes parties, chacune composée de plusieurs sketchs, de telle façon qu'à la fin la troisième partie rejoint la première, Podalydès indique clairement sa volonté de composer une oeuvre somme, totale, parfaite synthèse de son univers (et placée sous le nombre 3 : trilogie versaillaise en trois parties - mais s'il y avait eu le même nombre d'acteurs, nul doute que le film aurait été meilleur).
Il est néanmoins curieux que, pour un projet d'une telle envergure, Podalydès se soit essayé (car c'est la première fois qu'il s'adonne à un tel exercice) au film à sketchs. Bien entendu, il s'agit de mettre en évidence la polyphonie, la dimension chorale du "petit monde de Podalydès", mais pour parvenir à donner une cohérence et surtout à conférer une unité à des éléments épars, il faut justement s'appeler Jacques Tati ou Blake Edwards, figures tutélaires dont Podalydès, dans sa folie des grandeurs, n'a jamais paru si éloigné qu'ici. D'autre part, l'univers qu'il nous propose est franchement étroit : réduire Versailles à trois lieux (les locaux d'une entreprise, un square, un magasin de bricolage) a sans doute une valeur métonymique, mais inscrire le nom de cette ville jusque dans le titre du film relève soit de la "private joke", soit de l'imposture.
Certes, le fait de juger un film sur le seul critère de ses intentions peut sembler un procédé particulièrement malhonnête mais si l'on se contente de prendre le film pour ce qu'il est, à savoir une comédie donc, le naufrage artistique (et vraisemblablement commercial, si l'on en croit les premiers chiffres d'exploitation) de ces "Bancs publics" est encore plus flagrant.
Car que voit-on ici? Une intrigue niaise (des secrétaires comptables émoustillées par une pancarte affichée sous une fenêtre de l'immeuble leur faisant face et indiquant "homme seul"), une collection de sketchs se voulant sans doute doux-amers mais se révélant au mieux d'une banalité touchante, au pire d'une vulgarité consternante (la palme revenant à Arditi et à l'ignoble Elie Semoun qui confirme son titre de pire comique de tous les temps), un défilé de stars dont l'apparition chronométrée évoque plus souvent le petit arrangement entre amis qu'un parti pris artistique audacieux. Curieusement, celui qui se taille la part du lion dans le film reste l'auteur lui-même : dans la troisième partie, Bruno Podalydès fait feu de tout bois. En directeur de magasin roi du marketing, il vampirise le reste du casting, se permettant d'éclipser jusqu'à Catherine Deneuve. D'ailleurs, les apparitions fugitives d'une bonne partie de la grande famille du cinéma français dont le temps de présence à l'écran est bien trop bref pour que tous ces acteurs puissent véritablement incarner un personnage, nous font nous demander si Podalydès aime véritablement ses acteurs. Même son frère Denis, dont le personnage occupait une position centrale dans les deux premiers films de la trilogie, en est réduit à jouer les utilités. Certes Bruno peut être drôle par instants, mais si l'on est sûr d'avoir perdu un bon cinéaste, on est moins certain d'avoir gagné un bon acteur.
Et puis le grand absent du film c'est le scénario. Celui qu'un Tati ou un Edwards toujours aurait mis un point d'honneur à travailler avec humilité. Mais Podalydès, bien trop persuadé de son talent comique, fait preuve d'une telle désinvolture que la question d'un scénario semble ne jamais lui avoir effleuré l'esprit - sans doute était-ce trop ringard pour lui.
Seule bonne idée : la bande-annonce, composée de 23 sketchs du film, qui présente l'avantage de proposer un résumé concis du pensum en nous épargnant tous les autres.

04/07/2009

"Qu'est-ce qu'elle a ma gueule?" Note sur deux comédies actuelles



Deux films récents nous donnent encore une raison de croire en l'avenir de la comédie dans notre pays, ce qui ne constitue pas un mince exploit. Le meilleur des deux, "Les Beaux gosses", première réalisation de Riad Sattouf, auteur jusqu'ici de savoureuses BD, montre brillamment qu'un sujet traité jusqu'à la nausée, à savoir la chronique d'un adolescent à l'heure de ses premières pulsions amoureuses et sexuelles, peut, s'il est envisagé avec originalité, révéler des saveurs inédites. En l'occurrence, "Les Beaux gosses" évite avec soin les deux écueils qui minent en général ce type de sujet : celui du réalisme social à prétention pédagogique (type "Entre les murs", disons) et celui de l'analyse psychologique sur la relation parent-adolescent (je pense au désolant "15 ans et demi", à défaut d'exemple plus noble). Ici, l'inscription géographique (le spectateur dispose de peu d'indices lui permettant de repérer que l'action se situe à Rennes), sociale (le personnage principal fait indéniablement partie de la classe moyenne tandis que sa petite amie est issue d'un milieu plus aisé, mais le film n'aborde jamais cette dimension) ou même historique (la quasi-absence de référence à l'actualité, et surtout l'absence totale de téléphones portables chez les adolescents, population qui en est pourtant la plus friande, constituent autant d'éléments destinés à brouiller l'ancrage temporel) ont été clairement évacuées. Dégagé de toute considération étrangère à son univers, Sattouf se propose d'étudier l'adolescence en soi dans un monde quasiment désincarné, presque abstrait. Pour autant, toute distance scientifique ou ironique est écartée, car le processus d'identification opère : physique ingrat, intelligence plutôt moyenne, humour douteux mais décapant, les anti-héros de son film emportent d'autant plus vite la sympathie du spectateur (garçon) qu'il ne tarde pas à se reconnaître dans ces losers plus obsédés par les filles que par leurs notes à l'école.
Le film doit une grande partie de sa réussite à ses dialogues qui reflètent parfaitement le langage des ados dont l'humour et la cruauté mêlés sont les composantes essentielles. Cette mise en valeur des dialogues est d'autant plus percutante que la parole a pour fonction de traduire, dans un langage rudimentaire, certes, mais ô combien réjouissant, la frustration que ressentent nos deux compères.
Enfin, ce qui distingue "Les Beaux gosses" de l'écoeurant "American Pie", c'est sans conteste la pudeur et la tendresse infinies avec lesquelles le metteur en scène filme ces ados qui savent qu'ils ne resteront pas ados toute leur vie. Après avoir tant ri, la fin du film nous inspire d'ailleurs une pointe de nostalgie tout à fait inattendue.

De la tendresse, Eric Toledano et Olivier Nakache, les deux réalisateurs de "Tellement proches", en éprouvent indéniablement pour leurs personnages, cela ce sent malgré un scénario (mais y'en a-t-il vraiment un) plutôt confus qui rend cette histoire ultra rebattue de "famille-je-vous-aime-famille-je-vous-hais" assez anecdotique. Les dix premières minutes, plutôt enlevées, sont prometteuses et évoquent les grandes heures de la comédie italienne. Mais la suite n'est pas de ce niveau.
C'est dommage, d'autant que ce film, par sa vivacité (brouillonne, certes, mais tout de même), par la qualité de son interprétation, par les thèmes de société qu'il aborde (le racisme, la famille, la solidarité), par les valeurs généreuses et positives (tout cela sans démagogie) qu'il véhicule, et par son absence totale de vulgarité, tranche singulièrement dans le paysage terne et sans âme de la comédie hexagonale actuelle.
Vincent Elbaz est touchant en enfant qui a grandi trop vite et Omar Sy confirme, après "Nos jours heureux", du même tandem de réalisateurs, ses talents de comique en solo. Les autres acteurs s'en tirent également bien, à l'exception du pénible François-Xavier Demaison dont l'omniprésence dans le paysage cinématographique français ne laisse pas d'être un signe inquiétant.
Pour finir, et comme pour justifier le traitement parallèle de ces deux films, on notera que l'un des principaux ressorts comiques qu'ils ont en commun tient au rôle essentiel que joue l'apparence physique, en particulier le visage. Dans "Les Beaux gosses", le visage ingrat du personnage principal est régulièrement objet de dérision, parfois cruelle, de la part de ses camarades. Remarques désobligeantes qu'il infligera également à l'une de ses congénères venue lui demander, en tremblant, s'il voudrait bien sortir avec elle, et ce à quoi il lui lâchera un "Non mais, t'as vu ta gueule ?" dont la franche brutalité comique désamorce la violence de la charge. Les meilleures scènes de "Tellement proches" mettent en valeur une vexation semblable, déplacée cette fois à la couleur de la peau. Le personnage que campe Omar Sy, médecin en dernière année d'internat, est régulièrement pris par ses patients pour un simple brancardier, du fait de sa couleur. La répétition de cette méprise au cours du film détourne la simple charge anti-raciste pour parvenir à un comique de situation pleinement assumé. Belle preuve, s'il en est, d'humour décomplexé et dénué de vulgarité sur un sujet (l'apparence extérieure) plutôt... casse-gueule.
Bref, le succès public mérité que rencontrent ces deux comédies intelligentes nous réconcilie avec la Fête du cinéma.

03/07/2009

Karl Malden (1912-2009) Un homme qui avait du nez


Il est difficile d'évoquer Karl Malden sans penser immédiatement à son nez, appendice exagérément proéminent et épaté. Cet organe, fixé sur un visage par ailleurs plutôt commun, constituait son principal trait physique et il ne paraît pas exagéré de reconnaître que sans cette excroissance naturelle la carrière de Malden aurait été tout autre. Cette présence intrigante qui tranchait singulièrement avec la banalité de sa physionomie trouvait comme un écho dans sa personnalité de bon garçon qu'on sentait néanmoins secouée par des sentiments troubles et complexes.
Ses meilleurs rôles mettent d'ailleurs la singularité de son caractère en avant, comme son personnage de Mitch, le soupirant timide de Blanche dans "Un tramway nommé Désir" (A Streetcar Named Desire, 1951), rôle pour lequel il obtint justement un oscar. Ses prestations de policier ambigu dans "Mark Dixon détective" (Where The Sidewalk Ends, 1950), de Preminger et dans "La Loi du silence" (I Confess, 1953), d'Hitchcock, sont également marquées par une composition toute en subtilité.
Elève d'Elia Kazan au sein du Group Theatre, c'est le même Kazan qui lui offre ses premiers rôles importants dans "Un Tramway" et "Sur les quais" (On The Waterfront, 1954) et surtout "Baby Doll" (1956), sans doute sa plus belle performance. Abonné aux seconds rôles (il est souvent dans l'ombre de Brando, protégé de Kazan, dans "Un Tramway", "Sur les quais" et "La Vengeance aux deux visages" (One-Eyed Jacks, 1961), le curieux western mis en scène par Brando lui-même), il donne la réplique aux plus grands : Burt Lancaster, Gary Cooper, Steve McQueen, Montgomery Clift - sans jamais être réduit au rôle de faire-valoir. Il faut dire qu'il savait camper ses personnages, bons ou mauvais, avec une nuance et une humanité telles qu'ils étaient souvent au moins aussi intéressants que les personnages principaux.
A noter qu'il fit l'expérience de la mise en scène, remplaçant Delmer Daves victime d'un arrêt cardiaque, le temps de tourner les dernières séquences de "La Colline des potences" (The Hanging Tree, 1959), troublant western que Bertrand Tavernier compte parmi les dix plus beaux jamais tournés.