15/07/2009

Le Versailles de trop

A peine nous félicitions-nous de la bonne santé retrouvée de la comédie dans notre pays qu'un film est venu brusquement, avec sa vacuité abyssale, doucher notre enthousiasme. Notre déception est d'autant plus grande que Bruno Podalydès, l'auteur de ces laborieux "Bancs publics", avait su faire preuve jusqu'ici d'un talent véritablement original dans le domaine pourtant très balisé de la comédie. Certes, ses héros lunaires sortent tout droit de chez Tati tandis que les catastrophes brillamment orchestrées qu'ils provoquent malgré eux doivent beaucoup à Blake Edwards, mais Podalydès a toujours su marquer ses films d'une singularité qui lui est propre, faite de poésie naïve, de nostalgie, de calembours pas toujours fins et d'humour décalé dans l'air du temps. C'est la réunion de ces ingrédients, aussi divers et improbables soient-ils, qui font de "Dieu Seul me voit", "Liberté-Oléron" et "Le Mystère de la chambre jaune" d'indéniables réussites.
On retrouve bien entendu tous ces éléments dans "Bancs Publics", mais ils ne composent plus la même recette savante, la même alchimie qu'autrefois. Il faut dire que sa structure éclatée - il s'agit d'un film à sketchs - n'invite pas vraiment à la concentration mais plutôt à l'éparpillement.
L'ambition de Podalydès, avec ce film, ne doit pas être pour autant sous-estimée, bien au contraire. En inscrivant pour la troisième fois l'action de son récit à Versailles, dix-sept ans après "Versailles Rive-Gauche" et onze ans après "Dieu seul me voit" - dont le sous-titre était "Versailles Chantiers" - en conviant un nombre invraisemblable d'acteurs très connus, ou encore, en structurant son film en trois grandes parties, chacune composée de plusieurs sketchs, de telle façon qu'à la fin la troisième partie rejoint la première, Podalydès indique clairement sa volonté de composer une oeuvre somme, totale, parfaite synthèse de son univers (et placée sous le nombre 3 : trilogie versaillaise en trois parties - mais s'il y avait eu le même nombre d'acteurs, nul doute que le film aurait été meilleur).
Il est néanmoins curieux que, pour un projet d'une telle envergure, Podalydès se soit essayé (car c'est la première fois qu'il s'adonne à un tel exercice) au film à sketchs. Bien entendu, il s'agit de mettre en évidence la polyphonie, la dimension chorale du "petit monde de Podalydès", mais pour parvenir à donner une cohérence et surtout à conférer une unité à des éléments épars, il faut justement s'appeler Jacques Tati ou Blake Edwards, figures tutélaires dont Podalydès, dans sa folie des grandeurs, n'a jamais paru si éloigné qu'ici. D'autre part, l'univers qu'il nous propose est franchement étroit : réduire Versailles à trois lieux (les locaux d'une entreprise, un square, un magasin de bricolage) a sans doute une valeur métonymique, mais inscrire le nom de cette ville jusque dans le titre du film relève soit de la "private joke", soit de l'imposture.
Certes, le fait de juger un film sur le seul critère de ses intentions peut sembler un procédé particulièrement malhonnête mais si l'on se contente de prendre le film pour ce qu'il est, à savoir une comédie donc, le naufrage artistique (et vraisemblablement commercial, si l'on en croit les premiers chiffres d'exploitation) de ces "Bancs publics" est encore plus flagrant.
Car que voit-on ici? Une intrigue niaise (des secrétaires comptables émoustillées par une pancarte affichée sous une fenêtre de l'immeuble leur faisant face et indiquant "homme seul"), une collection de sketchs se voulant sans doute doux-amers mais se révélant au mieux d'une banalité touchante, au pire d'une vulgarité consternante (la palme revenant à Arditi et à l'ignoble Elie Semoun qui confirme son titre de pire comique de tous les temps), un défilé de stars dont l'apparition chronométrée évoque plus souvent le petit arrangement entre amis qu'un parti pris artistique audacieux. Curieusement, celui qui se taille la part du lion dans le film reste l'auteur lui-même : dans la troisième partie, Bruno Podalydès fait feu de tout bois. En directeur de magasin roi du marketing, il vampirise le reste du casting, se permettant d'éclipser jusqu'à Catherine Deneuve. D'ailleurs, les apparitions fugitives d'une bonne partie de la grande famille du cinéma français dont le temps de présence à l'écran est bien trop bref pour que tous ces acteurs puissent véritablement incarner un personnage, nous font nous demander si Podalydès aime véritablement ses acteurs. Même son frère Denis, dont le personnage occupait une position centrale dans les deux premiers films de la trilogie, en est réduit à jouer les utilités. Certes Bruno peut être drôle par instants, mais si l'on est sûr d'avoir perdu un bon cinéaste, on est moins certain d'avoir gagné un bon acteur.
Et puis le grand absent du film c'est le scénario. Celui qu'un Tati ou un Edwards toujours aurait mis un point d'honneur à travailler avec humilité. Mais Podalydès, bien trop persuadé de son talent comique, fait preuve d'une telle désinvolture que la question d'un scénario semble ne jamais lui avoir effleuré l'esprit - sans doute était-ce trop ringard pour lui.
Seule bonne idée : la bande-annonce, composée de 23 sketchs du film, qui présente l'avantage de proposer un résumé concis du pensum en nous épargnant tous les autres.

1 commentaire:

  1. Je suis d'accord : cet ultime opus de la trilogie versaillaise de Podalydès est sans doute le plus mauvais film du réalisateur. A vouloir accroître son public le plus loins possible, en ralliant tous les acteurs français possibles, et en délayant la narration dans une succession de sketches, reliés par le fil ténu d'une intrigue sans intérêt, au plus près des préoccupations ordinaires des "gens" supposés nunuches et sottement romantiques, Podalydès a perdu tout ce qui faisait l'intérêt de ses films précédents et de sa qualité d'auteur à part entière. Le premier opus (Versailles rive gauche) montrait ainsi les quiproquos et imbroglios des relations hulaines au sein d'une bande d'amis versaillais, traitée sur le mode de l'humour frais et "gentil", et dans une référence constante à l'enfance (Hergé, la BD,...). C'est ce qui faisait, en 1991, toute la fraîcheur d'un cinéma français "d'auteur" enfin sorti de l'atmosphère strictement parisienne, cérébrale et sérieuse, des Rivette, Godard, et de leurs suiveurs contemporains (Assayas, Desplechins, Almaric,etc...). A présent, Podalydès fait du "grand public" comme on en fait à la télé : pour plaire au plus grand nombre, et ne choquer personne. Toute la singularité de l'approche originelle est perdue, et il n'en sort qu'un produit télé, dilué dans le quelconque et l'uniforme : un produit générique, en somme, qui trahit l'élan originel qui l'avait porté jusqu'alors, avec plus ou moins de succès (les adaptations des romans de Leroux commençaient déjà à se diluer dans l'insignifiant). Dommage pour tous les amis du "versaillais" : il nous restera les deux opus précédents pour nous réjouir.

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