14/09/2009

L'art de la fugue

Typique des productions hollywoodiennes des années 70, "La Fugue" ("Night Moves", 1975) d'Arthur Penn, décrit une machination complexe dont le personnage principal (un détective privé) doit décrypter les principaux rouages au fur et à mesure qu'il identifie les protagonistes qui y ont pris part. Pourtant, et malgré ce que ce résumé succint pourrait suggérer, ce film échappe au genre du thriller paranoïaque, type "Les 3 jours du condor" ou les films d'Alan Pakula, et se révèle une oeuvre très personnelle dans la carrière protéiforme d'Arthur Penn.
La première particularité, c'est que l'intrigue policière proprement dite n'intervient qu'une demie-heure avant la fin (sur deux heures de film) et trouve sa résolution pratiquement au moment où elle se met en place. D'ailleurs, la nature particulièrement embrouillée de cette intrigue et la rapidité avec laquelle elle est conduite montre clairement son caractère inessentiel, voire artificiel. La résolution finale a beau donner lieu à une superbe scène sous marine (et muette de surcroît), elle n'apporte pas de véritable révélation et en soi ne résout rien pour nous, spectateurs, transportés malgré nous dans une enquête menée tambour battant dont les tenants et aboutissants échappent à tout le monde - à commencer par le détective lui-même.
En fait, ce surgissement quasi extraordinaire de l'énigme policière relativise la portée de celle-ci tout en éclairant sous un jour nouveau ce qui l'a précédée.
En effet, "Night Moves" se révèle très vite être moins un polar que le portrait d'un homme trompé par tous car se trompant avant tout sur lui-même. Cet homme, magnifiquement campé par un Gene Hackman fraîchement sorti de son rôle dans "Conversation secrète" de Coppola (film avec lequel "Night Moves" partage certaines similitudes thématiques) est un détective privé qui, à l'occasion d'une enquête (qui a pour but de retrouver une jeune fugueuse) est amené, conformément aux conventions du genre, à rencontrer des individus de toutes sortes au cours de celle-ci. Mais ici, et contrairement aux règles élémentaires de tout récit policier, les rencontres se succèdent sans que le détective parvienne jamais à faire le lien entre elles et sans que le spectateur puisse identifier le moindre indice ou une quelconque trame logique. De même, le détective a toujours un temps de retard sur les événements et se fait toujours surprendre.
En déniant ainsi attribuer au détective son statut traditionnel de conscience omnisciente, de décrypteur de signes, Arthur Penn détourne délibérément les conventions du film de genre. Ici, le détective, concentré en lui-même, incapable de faire le deuil de sa jeunesse (il a été un ancien joueur de football forcé à prendre sa retraite à la suite d'une blessure) et en quête de son père (comme souvent chez Penn), est aveugle à ce qui se passe autour de lui, aussi bien dans sa vie privée (sa femme le trompe avec un amant qui l'accompagne au cinéma voir "Ma nuit chez Maud", de Rohmer, détail qui ne s'invente pas) que dans son enquête. C'est un personnage absent, tout entier renfermé dans son propre monde comme pouvaient l'être également les personnages mis en scène par Arthur Penn dans ses deux premiers films (Billy le Kid dans "Le Gaucher" et Helen Keller dans "Miracle en Alabama"). Ainsi prisonnier de lui-même, il est condamné à tourner en rond, comme la dernière image du film le suggère explicitement.
Oeuvre étrange et déroutante donc, qu'on devine intimement personnelle, et dont le rythme faussement nonchalant et désinvolte tient principalement à sa mise en scène (sans effets, contrairement à certains films de Penn, comme "Little Big Man") qui épouse les hésitations et atermoiements du personnage principal, perdu dans son enquête comme il l'est en lui-même.
On remarquera au passage les prestations de deux futurs jeunes premiers : Melanie Griffith en jeune fugueuse aux moeurs libérées et James Woods.

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