27/06/2009

Bright Star ou les abîmes de la passion



Vu en avant-première Positif, "Bright Star" était présenté cette année à Cannes en compétition officielle mais sans obtenir de prix (il faut dire que le romantisme n'était guère à l'honneur sur la Croisette cette année). Accueilli avec plus ou moins de ferveur par les critiques de l'hexagone (avis favorables dans Positif et Le Monde, jugements modérés dans Télérama et Les Inrocks), il est encore trop tôt pour prédire son succès en salles s'il est vrai que Pathé, distributeur du film, a décidé de reculer la date de sa sortie en France, prévue en juillet, à... janvier 2010 (!).
A l'exception de "La Leçon de piano", récompensé par une Palme d'or en 1993, l'oeuvre restreinte (sept films en 20 ans) et exigeante de Jane Campion aura divisé les critiques et rencontré un faible succès commercial. Nul doute qu'un destin semblable soit réservé à "Bright Star".
Michel Ciment aura beau jeu, lors de la présentation du film, d'affirmer, en guise de réponse à la principale critique adressée au film par ses détracteurs, que si l'on devait réécrire le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, la définition de l'Académisme serait "film en costume". Si par "académisme" on entend film de convention dont la réalisation passe-partout est entièrement au service d'un récit tout aussi conventionnel et dont les séquences ne sont qu'une mise bout à bout de scènes illustratives au service d'un scénario plus ou moins déjà connu à l'avance par le spectateur, alors "Bright Star" n'est définitivement pas un film académique. Mais un film en costumes, cela il l'est indéniablement.
Le sujet du film, on le connaît, concerne la grande passion que connurent le poète romantique anglais John Keats (1795-1821) et Fanny Brawne les quelques mois précédant la mort du premier. Deux fausses pistes qu'un film académique n'aurait pas manqué d'emprunter : d'une part, il ne s'agit pas d'un biopic à proprement parler puisque Fanny Brawne constitue le personnage principal et Keats est vu par ses yeux ; d'autre part, une certaine convention dans les films académiques voudrait que les différentes péripéties aient pour objet de constituer autant d'obstacles susceptibles de s'opposer au bonheur partagé des amants (voir les différentes adaptations des romans de Jane Austen). Rien de tel ici, les seules péripéties consistent en l'absence/présence de Keats au gré de ses pérégrinations et au bonheur/désespoir qu'éprouve Fanny Brawne selon les cas.
Plus qu'un film en costumes, plus qu'un film sur la poésie, "Bright Star" est d'abord un film sur la passion ou plutôt sur une âme transportée par la passion. L'héroïne (l'étonnante Abbie Cornish, déjà vue dans "Elizabeth, l'âge d'or", a la beauté d'une Nicole Kidman jeune, on lui souhaite une carrière semblable - mais sans les errances chirurgicales) ne vit que par et pour son amour. Elle le vit avec intensité et il hante tout entier son imaginaire (la séquence fantastique dans laquelle elle peuple sa chambre de papillons en écho à une lettre de Keats). Elle éprouve cette passion avec d'autant plus de force que les conventions de l'époque, la première moitié du 19ème siècle, la réprouve (Keats est pauvre - sa gloire sera posthume).
Voici un sujet qui aurait inspiré Truffaut (on pense d'ailleurs à "L'Histoire d'Adèle H." pour l'attachement sans limite, jusqu'à l'obsession, de son heroïne pour les sentiments qu'elle éprouve à l'égard de l'être aimé) et le meilleur du film consiste justement dans cette peinture d'un sentiment violent et exclusif car condamné à être toujours frustré (les moments de bonheur partagé sont rares et immédiatement suivis d'une séparation - jusqu'à la séparation ultime à la mort de Keats).
Là, en revanche, où je trouve que le film pêche un peu c'est justement dans ce qui est censé faire son orginalité, soit la présence de la poésie. Ici, elle a une valeur essentiellement illustrative. Fanny Brawne d'ailleurs tombe amoureuse de Keats pour lui-même et elle n'apprécie pas beaucoup sa poésie, du moins au début. Elle demande même à Keats de lui apprendre à lire la poésie, elle-même n'y comprenant rien. La fonction de la poésie dans le film consiste principalement à servir de catalyseur pour l'amour qu'éprouve Fanny Brawne pour Keats, c'est en quelque sorte la transposition verbale d'un sentiment indicible. Mais on n'apprend pas grand-chose sur la poésie de Keats.
Si, comme l'a justement rappelé Michel Ciment, aucun film avant celui-ci n'avait abordé le thème de la poésie, c'est justement qu'il s'agit d'un art incompatible avec un autre, et encore moins avec le cinéma. La poésie, en effet, ne se révèle pas d'un coup, comme la musique ou la peinture, mais elle se découvre lentement. C'est un art de la profondeur. Rien de plus contraire au cinéma, art de l'apparence, de la fulgurance. La beauté de la poésie se dissimule, son essence échappe aux simples mots qui la forment. Le cinéma se confond tout entier avec son apparaître. Comment faire alors apparaître ce qui justement, par son essence, se trouve caché ? C'est ce paradoxe que le film ne résoud pas, et la poésie n'y acquiert pas un statut particulier, ce qui est d'autant plus regrettable que, par là, le génie de Keats n'est pas apparent et on a l'impression que l'héroïne du film aurait pu éprouver les mêmes sentiments pour un peintre, un pianiste ou même n'importe qui sans talent artistique.
Un dernier mot pour conclure : la mise en scène, malgré quelques beaux moments (la capture des papillons, toujours), ne magnifie pas toujours les sentiments de l'héroïne (ce qui est le propre d'un Truffaut dans "Les Deux anglaises et le Continent" ou "L'Histoire d'Adèle H." justement). Les moments "en creux" du film, c'est-à-dire les moments sans véritables enjeux dramatiques, composant l'essentiel de celui-ci, on aurait pu s'attendre à une mise en scène contemplative, mettant en valeur le temps suspendu. Ce qui n'est pas le cas, Jane Campion s'attachant plus volontiers à la description de petits faits quotidiens. Mais leur incidence sur les sentiments de l'héroïne et sur la progression dramatique est si infime qu'ils peuvent lasser à la longue.
J'en ai déjà trop dit sur ce film pour lequel, et malgré ces réserves, j'éprouve une tendresse particulière. Rien que pour sa tentative de dépeindre toute la noblesse et la profondeur du sentiment amoureux, ce qui n'est guère courant de nos jours, "Bright Star" mérite d'être défendu avec ferveur et sincérité.

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