23/05/2011

Cannes : Revue de palmarès (1/2)

N'en déplaise aux esprits chagrins, remplis d’autosatisfaction, regrettant que les films français ("Pater", "L’Apollonide") ou affiliés ("Le Havre" du finlandais Kaurismäki) n’obtiennent aucune récompense, et que notre Michel Piccoli national, illuminant à lui seul, il est le vrai, le pénible "Habemus Papam" de Nanni Moretti, soit revenu bredouille, on saluera vivement la clairvoyance de ce jury présidé par "Bob" De Niro qui a su éviter les chausse-trappe et les attrape-nigauds pour célébrer les vrais grandes réussites. On passera rapidement sur les fausses notes de ce prix du scénario accordé à "Footnote" (pas vu, mais unanimement décrié par la presse) ou sur ce prix du jury (trop) généreusement attribué à "Polisse", dont les maladresses et balourdises bien-pensantes sont heureusement sauvées par un rythme frénétique et un humour réjouissant. Le prix d’interprétation féminine décerné à Kirsten Dunst fut notre premier motif de satisfaction. Le film du provocateur en chef Lars Von Trier (qui n’a pas perdu l’occasion de faire encore parler de lui à Cannes cette année), "Melancholia", ne nous a pas totalement convaincu, tant le manque de consistance du propos et l’ineptie des dialogues sont risibles, mais force est de reconnaître l’habileté de la mise en scène, la puissance des images et l’ambition dont il témoigne de faire ainsi communier l’intime (la dépression d’une jeune femme lors de son mariage) et le cosmique (la collusion de la Terre avec une autre planète). Fumeux ? Sans nul doute. Pompier ? Je vous l’accorde (d’autant que l’ouverture de "Tristan & Isolde" de Wagner en constitue le motif musical récurrent), mais cette démesure provoque, à la longue, une certaine fascination. Et Kirsten Dunst dans tout ce maelström ? Le film repose en grande partie sur sa prestation : tour à tour touchante et agaçante, son personnage semble se complaire à se perdre dans une spirale de l’échec narcissique. De son point de vue, l’apocalypse finale ressemble fortement à une délivrance. Un magnifique portrait de femme en définitive, d’autant plus étonnant que Lars Von Trier fut souvent suspecté de misogynie. Quoiqu'il en soit, il s'agit du film le plus ambitieux vu à Cannes cette année, avec "The Tree Of Life".
Autre prix, autre joie : la récompense attribuée à Jean Dujardin, acteur souvent brillant dans des œuvrettes qui ne le valaient pas. Dans "The Artist", de Michel Hazanavicius (film très apprécié tant par les journalistes hexagonaux qu'internationaux), il prouve encore une fois qu'il a plus d'une corde à son arc et qu'il n'est pas du genre à décliner ad nauseam son rôle de Brice de Nice ou de OSS 117. Cette récompense justifiée nous plaît d'autant plus que le jury a su disqualifier Sean Penn, donné pourtant favori, en roue libre dans ce pensum digne du Jarmusch des mauvais jours qu'est "This Must Be The Place" de Paolo Sorrentino qu'on a connu plus inspiré quand il filmait dans son pays natal (l'Italie). Jouant la carte du faussement "cool" et accompagné d'une BO "sympa", le film se traîne mollement, faute d'enjeu dramatique, au rythme d'une intrigue louche (une rock-star déchue à la recherche d'un criminel nazi... tout un programme). Pour en revenir à "The Artist", Hazanavicius réussit ce qui paraissait sur le papier une véritable gageure : la réalisation d'un film muet. Bien sûr, l'artifice du dispositif conduit à certaines maladresses (l'absence de dialogues obligeait, au temps du muet, à une inventivité permanente de la mise en scène, ce qui n'est pas toujours le cas ici, mais il serait de mauvaise foi de regretter qu'Hazanavicius ne soit pas Murnau), mais quelques trouvailles habiles et surtout la belle énergie des interprètes (et en premier chef, Jean Dujardin donc) emportent aisément l'adhésion. Surtout, le réalisateur parvient à dépasser le simple pastiche de ses OSS 117 pour réaliser une œuvre originale et personnelle - et finalement un bien bel hommage au cinéma et à sa magie. Certains dégoiseront sur la légitimité de la présence d'un tel film en compétition- et pire encore, sur le fait qu'il obtienne une récompense - sous prétexte qu'il s'agit là d'un divertissement. Et alors ? Nous pensons au contraire qu'il est particulièrement sain pour un festival aussi reconnu et au rayonnement international de s'ouvrir à tous les types de cinéma : le cinéma d'auteur certes, mais aussi le cinéma de genre (représenté cette année par Takeshi Miike et Nicolas Winding Refn) ou le cinéma d'animation (peu représenté, il est vrai, lors de cette édition). Il n'y aurait rien de pire, à mon sens, que Cannes symbolise le repli sur soi, consacrant un certain cinéma auteuriste, voire autiste, inaccessible au grand public. Dès lors, quoi de plus réjouissant que de voir un divertissement aussi réussi que "The Artist" figurer au palmarès ? Il ne lui reste plus qu'à lui souhaiter un joli succès en salles et à l'étranger (avec un Oscar à la clé ?).

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